Jean Zay écrit "Souvenirs et solitude" en prison à MARSEILLE et à RIOM.

Publié pour la première fois en 1946 par les éditions JULLIARD. Réédition en 2010 (Belin).

"Lisez et relisez « SOUVENIRS ET SOLITUDE » de Jean Zay"

article de Noëlle Lenoir, ancienne Ministre des Affaires européennes

publié le 10/08/2014

http://blogs.lexpress.fr/noellelenoir/2014/08/10/lisez-et-relisez-souvenirs-et-solitude-de-jean-zay/

 

Dans le ciel de l’Europe où les nuages s’amoncèlent – invasion de l’Ukraine, pulsions jihadistes de jeunes européens en quête d’identité dans la haine – une petite étoile va bientôt briller lors de la panthéonisation annoncée de Jean Zay. Jean Zay, lâchement assassiné le 20 juin 1944 par une poignée de miliciens français, aurait été s’il avait vécu l’une des personnalités politiques de l’après-guerre les plus étincelantes et les plus dignes de respect, comme il l’avait été tout au long de sa carrière dans les gouvernements qui ont précédé la guerre. Le fascisme français nous en a privé. La perte est irremplaçable.

 

A l’heure des commémorations de toutes sortes, ce 70ème anniversaire de sa mort est à mes yeux l’une des plus importantes. Sous Vichy, la presse envoyait à l’abattoir le fleuron des élites politiques républicaines. Jean Zay en était l’un des membres les plus distingués et les plus remarqués tant son œuvre politique est riche de changements plus heureux les uns que les autres, pour notre pays et ses citoyens. Humaniste libéral, tolérant, intègre, cultivé et surtout extrêmement brillant et intelligent, Zay ne pouvait que susciter la jalousie de la bande de médiocres arrivée au pouvoir à la faveur de l’armistice. Son ascendance juive, en dépit du fait qu’il fut agnostique, ne pouvait qu’attiser encore davantage le fiel d’un Philippe Henriot, symbole s’il en fut de tout ce que la presse peut faire de pire, et qui – comme le relève Jean Zay – avait pourtant été lorsqu’il était lui-même ministre à ses « basques, quémandant et flagorneur ».

  

Je viens de lire « Souvenirs et Solitude », les écrits de Jean Zay pendant ses quatre années de captivité dans des conditions rendues sans cesse plus inhumaines sur ordre de Pétain. Son crime qui lui valut l’internement à vie, ou plutôt en l’occurrence à mort ? Avoir tenté de défendre son pays en s’embarquant avec environ 80 députés républicains – comme Mendès-France et d’autres– sur le Massilia en 1940 dans l’espoir de sauver la France depuis l’Afrique du Nord, avoir été anti-Munichois en 1938 et avoir appuyé la politique militaire de Léon Blum en 1936 pour se préparer à l’éventualité de la guerre contre le nazisme .

 

Souvenons-nous de Jean-Zay, du message humaniste qu’il nous livre et aussi de sa souffrance exprimée si pudiquement dans cet ouvrage majeur que tout honnête homme et toute honnête femme devraient lire sans plus tarder.

 

Avocat au barreau d’Orléans, député du Loiret à 27 ans, plus jeune ministre à 32 ans du gouvernement Albert Sarraut en 1932, puis ministre de l’Education nationale et des Beaux-arts se voyant également rattaché le sous-secrétariat d’Etat à la recherche scientifique dans le gouvernement Léon Blum, Jean Zay est incontestablement le ministre qui a capitalisé le nombre le plus élevé de réformes dont les effets bénéfiques se font encore aujourd’hui sentir.

 

Songeons qu’il a créé le CNRS, le Festival de Cannes, la Réunion des Théâtres Lyriques Nationaux, institué l’orientation scolaire, l’hygiène, la médecine scolaire et l’éducation physique obligatoires, les œuvres sociales pour les étudiants, l’apprentissage pour les jeunes se destinant à des métiers techniques et la formation professionnelle, qu’il a préfiguré l’ENA pour mettre fin au monopole de fait du recrutement des hauts fonctionnaires exercé par l’arrogante Ecole des Sciences Politiques, qu’il a promu l’enseignement des langues étrangères au niveau scolaire et universitaire (notamment l’arabe et le portugais) ainsi que la lecture publique avec les premiers bibliobus, qu’il a introduit la première législation protégeant les droits d’auteur, qu’il a encouragé la coopération entre la science et l’industrie, qu’il a réhabilité les plus grandes scènes parisiennes comme l’opéra et la Comédie Française etc. La liste est si longue qu’il est impossible ici de tout énumérer.

 

Est-ce parce qu’en politique, l’intégrité et la grandeur d’âme ne paient pas toujours que Jean Zay a été plus que d’autres l’objet de la vindicte des revanchards de Vichy ? Je le crains.

 

Quoiqu’il en soit, sa description sobre et poignante, et tellement clairvoyante, des mœurs politiques reste actuelle. Parmi les enseignements à en tirer, j’ai retenu parmi d’autres trois types d’observations :

 

  • Le rôle de la presse, d’abord. Il est capital en démocratie. La liberté démocratique passe par les media, d’autant que les media peuvent aussi être le poison des démocraties. Méditons ce qu’écrit Jean Zay de l’état de la presse entre les deux guerres et surtout sous Vichy : « Rien ne serait viable, quels que soient les efforts – souligne-t-il – si l’on ne commençait par une réforme profonde du régime de la presse française, qui faisait notre honte dans le monde et dont la bassesse, la violence haineuse, quand ce n’était pas la corruption, empoisonnaient la vie publique, en écartant de ses approches tant d’hommes de bonne volonté ». Si cette presse a heureusement disparu, gardons de ce cri d’alarme la conscience des dangers d’une presse qui cible dans un même « politique-bashing » tous les responsables politiques, même les mieux intentionnés, au risque de ne plus y attirer que les moins compétents et les plus intéressés et de briser la confiance des citoyens dans leurs dirigeants au bénéfice de partis aussi aventureux que peu démocratiques.

  • Le statut des parlementaires, ensuite. Jean Zay s’inscrit en faux contre l’idée d’une professionnalisation du « métier parlementaire ». Il a raison. Ses propos sont sages lorsqu’il note que « c’est seulement lorsque le Parlement siègera quelques semaines par an que les élus pourront conserver leur activité professionnelle normale, demeurer dans la vie ordinaire du pays, en contacts avec ses réalités et que sera de la sorte supprimée « la profession parlementaire », qui métamorphosait fâcheusement en peu de temps des hommes arrivés sans œillères ». Espérons qu’à la faveur de l’interdiction du cumul des mandats, les députés et sénateurs pourront ainsi conserver leurs attaches avec des métiers de la vie réelle garantissant leur indépendance économique et les rapprochant des citoyens.

  • Un certain état d’esprit des Français, enfin. La plupart des propos de Jean Zay pour ses compatriotes, et en particulier le corps enseignant dont il loue le courage, sont d’une très grande bienveillance. Mais,  lui dont les dernières paroles ont été « Vive la France ! », relève aussi ce qui fait que notre pays est parfois regardé par les autres comme replié sur soi dans un conservatisme qui l’empêche de s’ouvrir aux évolutions de monde qui nous entoure. Il est juste quand il souligne que « en ne voulant enseigner que le patriotisme, les maîtres qui ont seriné à des générations de lycéens et de collégiens que le monde civilisé avait contracté une dette séculaire envers la France – mère des arts, des armes et des loi -, ont fait germer d’étranges moissons d’égoïsme national ». Cette réflexion me fait tourner le regard vers nos bâtiments publics dont si peu pavoisent aux couleurs de l’Europe, même ceux dont les budgets regorgent de fonds européens… 

    Lisez donc « Souvenirs et Solitude », vous y verrez l’expression d’une âme noble dont les analyses sont indispensables pour mieux comprendre la crise morale que nous vivons.