Un collège d'historiens: "son action prouve que les accusations d'antipatriotisme qu'il subit ne sont pas fondées".

L'action de Jean Zay prouve son patriotisme

François Hollande a annoncé le transfert de la dépouille de Jean Zay au Panthéon aux côtés des résistants Pierre Brossolette, Germaine Tillion et Geneviève de Gaulle. L'avocat n'a jamais nié avoir écrit « Le Drapeau », mais, selon un collège d'historiens, son action prouve que les accusations d'antipatriotisme qu'il subit ne sont pas fondées.

Le Monde.fr | 14.04.2014 à 17h32 |

Par Jean-Pierre Azéma, Marc-Olivier Baruch (Historien), Claire Andrieu (Historienne), Jean-Noël Jeanneney (Historien), Pascal Ory (Historien), Antoine Prost, Jean-Pierre Rioux, Annette Wieviorka et Michel Winock

Une campagne tente de discréditer Jean Zay en niant son patriotisme. Fondées sur « Le Drapeau », un poème écrit dans les années 1920, les accusations se heurtent à la vérité historique.

Jean Zay n'a jamais contesté l'avoir écrit. Il a été volé et publié par le journal monarchiste d'Orléans lors de la campagne électorale de 1932, puis repris par l'Action française, Gringoire, Je suis partout etc... Jean Zay s'en est expliqué devant les députés, le 31 janvier 1936, lors de la constitution du gouvernement Sarraut où il était secrétaire d'Etat à la présidence du Conseil : « Sur la nature, la date, le caractère fantaisiste et strictement privé d'un papier qui remonte à douze années, alors que je suis aujourd'hui encore l'un des plus jeunes d'entre vous [...] on sait qu'il s'agissait d'un pastiche littéraire. »   

Deux points ne sont pas contestés : c'est un texte de jeunesse qui n'était pas destiné à être publié.  Un troisième point est certain : le pacifisme de Jean Zay à l'époque où il a écrit ce texte (« il y a douze années », donc en 1923/1924) . Dans le contexte d’alors, ce pacifisme n'a rien d'original. La qualification de « pastiche littéraire » ne peut être écartée.

Les écrits de Jean Zay de l'époque, notamment les billets qu'il donne à une revue littéraire locale, Le Grenier, rendent crédible qu'il ait voulu écrire un à la manière de Gustave Hervé. Rappelons que ce professeur fut révoqué en 1901 pour avoir conclu un article en plantant le drapeau dans le fumier, avant de devenir pendant la guerre, l'un des patriotes les plus jusqu'au boutistes.

UNE EXPLICATION DE TEXTE SOLENNELLE A L'ASSEMBLÉE

Sur le fond, Jean Zay a désavoué ce texte. Devant les députés, il poursuit : « Si le texte qui a été produit était, et ce n'est pas le cas, l'expression d'une opinion sérieuse et réfléchie, l'homme que je suis le repousserait avec horreur et, ayant voté ici les crédits concernant la défense nationale, attesterait avec force, quels que puissent être les commentaires, la loyauté de son patriotisme. » Après quoi Xavier Vallat, qui deviendra le premier commissaire aux questions juives de Vichy, se dit « extrêmement satisfait de ce que M. le président du conseil [...] ait permis à Jean Zay de s'expliquer comme il vient de le faire ».

Devant une déclaration aussi claire dans une enceinte aussi solennelle, on ne peut prétendre qu'il n'a jamais retiré ses propos. Les associations patriotiques sont plus difficiles à satisfaire aujourd’hui que Xavier Vallat en 1936.

Jean Zay était un patriote. A la déclaration de guerre, il aurait pu rester ministre. Il a finalement démissioné et a rejoint l'armée. Auparavant, ses prises de positions en avaient gêné certains, à gauche : le comité du Front populaire du Loiret avait commencé par refuser Jean Zay, car les pacifistes lui reprochaient d’avoir voté les crédits de la défense nationale. Il a fallu qu’il revienne à la charge pour être admis.

A l'Assemblée, il critique même le pacifisme des instituteurs, lors de la discussion de la loi sur l'obligation scolaire, le 6 août 1936 : « Le gouvernement et le ministre de l'éducation nationale [...] réprouvent avec netteté toute doctrine, toute thèse qui, surtout dans les circonstances internationales actuelles, tendraient à nier la défense nationale et à paralyser l'éventuel sursaut du pays si son indépendance et sa sécurité étaient menacées. Il pense que Jaurès lui-même se serait insurgé contre des raisonnements dangereux qui tendraient à faire oublier qu'aujourd'hui il peut arriver que la défense nationale se confonde avec la défense même de la liberté [...] Il pense qu'il serait plus étrange encore que scandaleux [...] de soutenir une thèse [...] qui tendrait à cette conclusion qu'on devrait se lever contre les menaces intérieures de fascisme ou de dictature, comme le pensent tous les républicains, mais que, par un tragique et invraisemblable paradoxe, seules les menaces de la dictature ou du péril extérieur ne rencontreraient point de résistance et verraient les portes s'ouvrir devant elles ». Et il affirme sa volonté de faire respecter la neutralité de l'école et de ne pas laisser la propagande pacifiste y pénétrer.

IL S'EMBARQUE SUR LE MASSILIA ET VOULAIT CONTINUER LA GUERRE

D'autres critiques ont fait de Jean Zay une simple victime et non pas un résistant. Mais la résistance a-t-elle commencé avec l'armistice et l'occupation ? Jean Zay était incontestablement partisan de résister à Hitler, c’est pourquoi il reste au gouvernement après Munich. D'ailleurs les mêmes journaux d'extrême droite, qui s'indignaient du Drapeau dans les années 1930, ont publié en 1942 ses carnets plus ou moins tronqués, eux aussi volés, pour prouver qu'il était partisan de résister à l'Allemagne nazie et voulait donc la guerre. Ceux qui se sont embarqués comme lui sur le Massilia voulaient continuer la guerre.

En l’assassinant, la milice de Vichy n’a pas fait seulement payer à Jean Zay ce qu'il était (franc-maçon, eux-disant juif, grand maître d'une université exécrée, ministre d'un Front populaire non moins exécré), mais aussi le combat politique qu’il avait mené après Munich.

Bien qu'emprisonné, il avait des contacts avec la Résistance, puisque l'on a retrouvé dans ses papiers le manuscrit d'un projet de « ministère de la vie culturelle » qui a été publié par l'Organisation civile et militaire de la résistance dans son deuxième cahier.

Les historiens savent que la haine politique est durable. La campagne actuelle le confirme.

  • Pascal Ory (Historien)
  • Jean-Noël Jeanneney (Historien)
  • Claire Andrieu (Historienne)
  • Marc-Olivier Baruch (Historien)
  • Jean-Pierre Azéma
  • Antoine Prost
  • Michel Winock
  • Annette Wieviorka
  • Jean-Pierre Rioux
    Journaliste au Monde


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