François FILLON (ministre du 31/3/2004 au 2/6/2005)

Foyer des lycéennes - Résidence Jean-Zay
Discours - François Fillon - 10/12/2004

François Fillon - ministre de l'Éducation nationale, de l'Enseignement supérieur et de la Recherche 

Pour le 100e anniversaire de la naissance de Jean Zay, François Fillon a tenu à saluer la mémoire d'un grand serviteur de l'Etat qui, dès juin 1936, jeta « les bases d'une école républicaine qui est encore la nôtre, soixante ans plus tard¿ ». Le ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche a donné, à cette occasion, le vendredi 10 décembre 2004, le nom de « Jean-Zay » au Foyer des lycéennes, à Paris, dans le 16 e arrondissement.

Choisi par Léon Blum, Jean Zay fut à 31 ans un ministre de l'éducation nationale et des beaux-arts animé, selon François Fillon, « d'un esprit de décision, de finesse et d'enthousiasme. »

Lâchement assassiné par la Milice de Vichy le 20 juin 1944, Jean Zay, a poursuivi le ministre, était « de ces âmes justes et rayonnantes qui chérissaient la France libre et fraternelle pour laquelle tant d'autres sont aussi tombés ».

Seul le prononcé fait foi

Monsieur le Recteur, Madame le Proviseur, Monsieur le Professeur,

Mesdames, messieurs,

Il existe, au ministère de l'éducation nationale, un grand escalier de marbre. Des panneaux de verre y portent les visages de tous les ministres successifs, depuis Fontanes. Chaque marche est un cours d'histoire - et une leçon d'humilité. Briand impressionne. Royer-Collard, Duruy, Poincaré, Berthelot, René Haby, Olivier Guichard, et quelques autres forcent le respect. D'autres silhouettes floues, d'autres noms oubliés, donnent à méditer sur l'éphémère de nos destinées.

Seul Jean Zay, peut-être, inspire à celui qui gravit ces marches un mélange de reconnaissance et d'émotion presque tendre ; cette compassion que Malraux, dans un discours fameux, prêtait à la jeunesse de France, tendant les mains vers le visage blessé de Jean Moulin.

Le visage de Jean Zay est serein. Il a la douceur de ceux que leur conscience apaise, dans l'effort comme dans l'épreuve. Hélène et Catherine, ses deux filles, ici présentes, discerneraient - je l'imagine sans doute mieux que nous tous - les traits de ce visage.

Sans doute l'éducation nationale a-t-elle tardé à prendre la mesure de sa dette envers cette conscience. Mais cette démarche s'engage. Ma présence, et le geste que je suis venu accomplir ici, veulent en témoigner avec force.

Chacune des célébrations qui accompagnent le 100e anniversaire de sa naissance - et elles sont nombreuses - contribue à confirmer le caractère exceptionnel de son destin et à dégager un peu mieux son souvenir des ombres au milieu desquelles il a trop longtemps attendu.

Si je parle d'ombres, c'est que les sédiments sous lesquels la figure de Jean Zay attend d'être ramenée au plein jour sont parmi les plus pesants et les plus obscurs de notre passé national. Ce sont les sédiments de nos heures noires ; les cendres d'une histoire douloureuse.

Assassiné par la Milice avec la complicité de l'état vichyste, Jean Zay tomba victime de nos déchirements les plus indicibles, les plus honteux. Dans l'inquiétude pressante de la réconciliation nationale, l'après-guerre édifia ses mythes avec un bonheur inégal ; elle le délaissa. Je voudrais qu'il prenne désormais toute sa place parmi nos plus vraies fiertés.

Regardons donc, ensemble, Jean Zay sortir de l'obscurité ; remonter du gouffre où, le 20 juin 1944, trois miliciens jetèrent son corps brisé ; regardons-le se dégager des éboulis sous lesquels ils crurent l'ensevelir.

Tirons-le, en pensée, des prisons de Riom.

Reconduisons-le vers ces bureaux de la rue de Grenelle qu'il anima, pendant quarante mois, d'un esprit de décision, de finesse et d'enthousiasme.

Voyons-le jeter les bases d'une école républicaine qui est encore la nôtre, soixante ans plus tard¿

Jules Ferry fait entrer l'école dans la modernité. Jean Zay, parmi d'autres, la projette dans l'avenir.

Choisi par Léon Blum, après une carrière précoce de journaliste, d'avocat et de député du Loiret, il devient le 5 juin 1936 ministre de l'éducation nationale et des beaux-arts. Il est trop jeune, entend-on murmurer. Il n'est pas du sérail... C'est faire bon marché des intuitions de Blum. Son pari sur l'avenir est payant. Jean Zay donne à son poste les preuves d'un tel engagement qu'il y tient quarante mois, sous Chautemps, puis sous Daladier - cinq cabinets au total - un record absolu qui rompt brillamment avec la réputation d'instabilité attachée aux gouvernements de l'époque. Il y déploie une action remarquable dans laquelle je reconnais aujourd'hui trois directions.

La première réside dans l'attention portée à la jeunesse comme telle. Jean Zay comprend qu'en lui confiant ses enfants, la Nation remet entre ses mains ses représentants les plus fragiles et les plus précieux. Il veille à les protéger par une mesure de progrès essentielle, la prolongation de la scolarité obligatoire jusqu'à 14 ans. Il inaugure pour eux une pratique attentive de l'orientation. Il répand dans leurs établissements l'habitude de l'éducation physique - laquelle dépendait avant lui du ministère des armées. Il instaure enfin un service moderne de médecine scolaire. Il a donc, plus que tout autre avant lui, le souci de l'épanouissement de l'élève.

Opposé aux méthodes et aux rythmes abrutissants, Jean Zay n'élève pas seulement des enfants ; il éduque des citoyens. « Formez, demande-t-il, des esprits ayant le sens du divers¿ ouverts à toutes les idées, mais ne séparant pas l'exercice de la pensée de la nécessité d'agir. »

La deuxième direction de son effort répond au souci de moderniser l'institution. Ni doctrinaire, ni dogmatique, Jean Zay rationalise. C'est lui qui met en place les grands traits de la distinction actuelle entre premier et second degré, qui unifie les structures, harmonise les programmes, qui fonde en somme l'école unique - unique par son caractère démocratique, et non par son uniformité. Sur sa lancée, Jean Zay couvre le pays de groupes scolaires aux normes de conception les plus actuelles, dédouble les classes nombreuses où l'on comptait alors plus de quarante élèves, ouvre 1500 chaires nouvelles dans le second degré.

La troisième direction, enfin, replace l'École au service de la Nation. Comme le savait Jean Zay, la réussite d'un système éducatif se juge à la qualité de l'insertion sociale et professionnelle des étudiants ; au dynamisme qu'ils seront capables de communiquer au pays. Jean Zay veille à doter le pays des institutions de pointe, qui sauront l'animer. Il aligne l'enseignement de l'Ecole Normale Supérieure de jeunes filles, « Sèvres », sur celui des garçons, « Ulm ». A la recherche, il offre le futur CNRS, conçu par ses secrétaires d'Etat, Irène Joliot-Curie et Jean Perrin ; à la haute administration, il destine un projet d'ENA que seule la guerre empêchera de voir le jour.

Cette action éducative s'accompagne d'un volet culturel ambitieux : ministre des beaux-arts, Jean Zay est lui-même homme de lettres - et sa plume élégante consolera d'ailleurs sa captivité. En attendant, il donne un véritable statut à la création intellectuelle et artistique, avec une loi sur le droit d'auteur et le contrat d'édition. Il réforme les musées nationaux. Attaché au patrimoine comme à la création contemporaine, il est à la fois le rénovateur de la Comédie Française, et l'un des initiateurs du Festival de Cannes.

À chacun de ces chantiers, Jean Zay insuffle personnellement l'énergie considérable que la politique parfois tortueuse de la IIIe République rend nécessaire. J'en donnerai une image.

À son arrivée, les budgets sont insuffisants ! Jean Zay - comme il m'est aisé de l'imaginer ! - se présente alors lui-même devant le tout-puissant Joseph Caillaux, président de la commission des finances du Sénat. Son charisme opère autant que la pertinence de ses vues. Désormais, Caillaux votera les rallonges. Le Parlement le suivra.

Mesdames, messieurs,

Je ne propose pas ici de voir en Jean Zay une figure d'unanimité parfaite. Ce serait faire injure à l'intégrité de ses convictions politiques. Mais je veux lire, dans l'attachement à son souvenir, le symbole partagé de notre engagement démocratique et républicain.

Jean Zay voulait que l'État ait de grands serviteurs. Lorsque la France voulut des ministres, elle le trouva prêt. Lorsqu'elle eut besoin d'opposants à la barbarie hitlérienne, il fut des premiers à quitter son ministère, refusant tous les compromis.

Par-delà les clivages politiques, par-delà les formes contingentes de l'histoire, les valeurs qui l'inspirèrent restent aujourd'hui les nôtres : le dévouement à l'avenir, l'égalité des chances, l'épanouissement de l'esprit, et pour tout dire, la foi en l'homme.

Parce qu'aucune de ces valeurs n'était admissible sous Vichy ; parce que ce régime plaçait les consciences sous le boisseau, l'existence de Jean Zay devint une menace pour les ennemis de l'État de droit. Et, comme celle de Mandel, peu après lui, sa vie leur fut livrée.

Une certaine tradition française, en soulignant à l'excès l'absurdité de la guerre, perd parfois de vue le sens et la valeur de tels sacrifices. « Que deviennent et que m'importent, demandait Voltaire, l'humanité, la bienfaisance, la modestie, la tempérance, la douceur, la sagesse, tandis qu'une demi-livre de plomb me fracasse le corps, et que je meurs à vingt ans dans des tourments inexprimables ? »

Jean Zay détenait une réponse : c'est justement pour l'humanité, la modestie et la sagesse qu'il tombait. Il tombait moins pour ce qu'il était, je dirais « accessoirement » - franc-maçon et d'un père juif alsacien - mais pour ce que son âme incarnait : la liberté.

Si j'ai tenu à honorer avec tant de solennité son souvenir, c'est qu'il convenait d'éclairer cette âme juste et rayonnante. Pour moi, le devoir de mémoire est indissociable d'une « certaine idée de la France » que j'accorde à la voix du général de Gaulle ; cette voix, qui le 18 juin 40, transperça la nuit et le brouillard qui s'étaient abattus sur la France libre et fraternelle que chérissait tant Jean Zay et pour laquelle tant d'autres sont aussi tombés.

Mesdames et messieurs,

C'est parce que l'humanisme entretient la flamme de l'espoir que le nom de Jean Zay orne aujourd'hui, non pas des stèles, mais des lieux de vie. Le choix du Foyer des lycéennes, en particulier, ne relève pas du hasard. Il manifeste des cohérences profondes.

Élevé en 1954, dix ans tout juste après la mort de Jean Zay, le Foyer des lycéennes fut érigé par André Marie, son successeur au ministère de l'Éducation nationale, et le continuateur de sa politique d'équipement.

La même année, André Marie rendait à son compagnon du parti radical un hommage émouvant ; et il est permis de penser que le Foyer des lycéennes empruntait à Jean Zay, sinon son projet exact, du moins son inspiration.

Dans ces murs vivent en effet plusieurs centaines de jeunes filles, venues de France et d'étranger pour suivre les cours des classes préparatoires. Je dis « vivent » et non « logent », car si ce lieu sert à leur hébergement, c'est aussi un lieu de culture, d'étude et d'orientation, jouissant du statut de lycée d'Etat.

Jean Zay y a plus qu'un autre sa place.

Il fut lauréat du Concours général en 1922 : les lauréates modernes salueront son nom. Il réforma l'École normale supérieure, et jeta les plans de l'ENA : leurs futures élèves entreront ici sous son regard. Ministre de l'éducation nationale à 31 ans, il fut la jeunesse même veillant sur la jeunesse, et c'est la jeunesse d'aujourd'hui qui fera vivre ici son souvenir.

 

Mise à jour : août 2006

Ref: http://www.education.gouv.fr/cid606/foyer-des-lyceennes-residence-jean-zay.html